Jean-Robert LORZIL
Né en aout 1937 d’un père Breton, originaire de la pointe des Espagnols, et d’une mère Lorraine, Jean a passé une partie de sa jeunesse à Paris. Son père s’était engagé dans la marine, et sa mère avait posé comme condition pour le mariage qu’il s’en retire, ce qui fut fait. Malheureusement, la déclaration de guerre de 1939 l’obligea à reprendre du service. Il disparut en défendant son pays, vraisemblablement dans les bombardements de l’arsenal maritime de Cherbourg, laissant son épouse seule avec deux enfants. Le sort continua de s’acharner contre la famille Lorzil, puisque le frère de Jean mourut quelques temps plus tard des suites d’un accident domestique.
Sa mère ne s’étant jamais remariée, Jean vécut seul avec elle et continua sa scolarité à Paris. Dès sa jeunesse, Jean a montré un vif intérêt pour l’histoire, l’architecture et le mobilier historique. A titre d’exemple, à l’âge où les autres enfants jouent avec des petites voitures, lui se construisait des maquettes de châteaux, d’intérieurs d’hôtels particuliers, pour lesquels il confectionnait des meubles et des œuvres d’art en papier collé. Plus tard, il fréquenta plusieurs associations à caractère historique comme le Souvenir Napoléonien, et s’engagea très tôt dans le soutien des idées royalistes. Il travailla un moment à la banque du Crédit Lyonnais, où il fit la connaissance d’un commis coursier, connu plus tard sous le nom de Eddie Mitchell.
Du fait de sa situation familiale il fut dispensé de se rendre en Algérie lors de son service militaire. Néanmoins, et au désespoir de sa mère, Jean décida de s’engager comme enseignant volontaire en Algérie au service de la France. C’est ainsi qu’il entra dans l’Education Nationale où il se découvrit un talent et une véritable vocation pour le métier d’enseignant. Il consacra toute sa carrière professionnelle à l’éducation des enfants en école primaire. Il fut pendant de nombreuses années le directeur de l’école d’Avrainville, en Essonne. Il se présenta au CAPES, mais ne fut pas reçu, malgré ses exceptionnelles compétences pédagogiques et ne voulut jamais s’y représenter. Il avait coutume de nous raconter l’anecdote de l’épreuve orale de ce concours pour lequel il avait choisi de présenter un texte du poète, martyr de la Révolution française, André Chénier. L’examinateur interloqué par ce choix inhabituel à l’Education Nationale, lui dit : « André Chénier ? C’est très conventionnel ! », et Jean lui répondit : « Non monsieur, c’est son frère qui était un Conventionnel ! » Le ton était donné !
Outre ses prises de positions en faveur d’un retour à la monarchie en France, il se passionnait aussi pour l’escrime, possédant un bon niveau, et aimait beaucoup les sonneries de trompe de chasse. Il fut invité au mariage du comte de Clermont, fils ainé d’Henri d’Orléans, comte de Paris, et aussi à celui de son petit fils, auquel il ne put se rendre.
Jean eut toute sa vie des problèmes de santé. Outre de multiples accidents où il faillit perdre la vie plusieurs fois, on lui découvrit une grave déficience rénale, héritée de sa mère. Cette maladie irréversible ne faisant que s’aggraver. Son pronostic vital était engagé, et ses médecins lui prédirent une fin de vie relativement proche. Heureusement, ils étaient dans l’erreur, et grâce aux progrès des systèmes de dialyse artificielle il put survivre jusqu’à l’obtention d’une greffe de rein, des années plus tard.
C’est en parallèle à ces événements qu’il se mit en quête d’une maison de campagne ayant du caractère. Jean avait des souhaits bien arrêtés sans pour autant être très précis sur ce qu’il cherchait ; il ne trouvait rien qui lui plaisait vraiment. Puis, après avoir visité moult demeures, un agent immobilier lui dit : « Bon, il me reste un dernier bâtiment à vous montrer, mais je vous préviens, c’est en piteux état et personne n’en veut ! » C’était le château d’Epanvilliers ! Enfin, une partie de ce pauvre château morcelé entre 4 ou 5 propriétaires dont on distinguera 7 lots dans les années à suivre. La partie de bâtiment qu’on lui proposait était la moitié sud du château. Malheureusement, juste avant lui, était passé un dépouilleur de château, et le bâtiment était en l’état d’abandon. Après avoir servi de séchoir à tabac, le château avait été acheté 500 francs par ce fossoyeur du patrimoine français qui voulait le revendre 8000 francs. En 1974, Jean se porta acquéreur du morceau de château et c’est là que commença une nouvelle vie pleine d’aventures et de rebondissements. Jean venait de réaliser son plus beau rêve : habiter dans un château. C’est ce rêve d’enfant qu’il avait conservé jusque là. A compter de ce jour, Jean consacra tout son temps, toutes ses finances, toute son énergie … toute sa vie, à sauver, restaurer et rendre vivant le château d’Epanvilliers.
Le travail ne manquait pas ! La cour d’honneur était encombrée de détritus de toutes sortes et était traversée par une ligne électrique. Les anciens fossés servaient de décharge, la moitié des fenêtres étaient à changer, la toiture fuyait de partout et tous les décors intérieurs étaient à refaire ! Jean eut la chance de pouvoir acquérir presque tous les autres lots dans les années qui suivirent, seule une dépendance ne put être réunie à l’ensemble. En particulier, il récupéra dès 1976, la deuxième moitié du château lui-même où il eut la surprise de découvrir les décors intacts du XVIIIème siècle ; les boiseries sculptées, les parquets, les corniches, les cheminées de marbre, etc. Il fallait tout remettre en état mais l’authenticité était bien présente.
A défaut de gros moyens financiers, Jean avait des idées et du talent. Alliant ces deux passions, l’enseignement et son château, Jean, avec le concours d’un responsable de l’Education Nationale, développa l’idée de créer l’école au château. C’est ce que l’on appellera par la suite « les classes de patrimoine » dont le concept se répandra dans toute la France. Jean Lorzil fut donc précurseur en la matière en lançant ce projet dès 1974.
Les enfants y apprenaient la manière de vivre dans un château au XVIIIème siècle. Chacun endossait le rôle d’un personnage ayant réellement vécu en ces lieux. Les élèves étaient habillés en costumes historiques. Ils vivaient, mangeaient et dormaient dans le château et ses jardins. Ils utilisaient d’authentiques meubles et objets anciens. Ils apprenaient à lire des manuscrits, puis à écrire à la plume, à cacheter leur courrier à la cire. En mathématique, ils étudiaient les comptes du domaine à partir de documents d’époque. Le séjour se terminait par une grande fête avec musique, bal, représentation théâtrale jouée par les élèves et dîner aux chandelles …
Afin d’avancer les restaurations du château, il crée en été des chantiers de jeunes bénévoles et accueille des jeunes en jumelage avec plusieurs pays étrangers. Jean montrait l’exemple et confectionnait beaucoup de choses de ses mains. Il avait un grand talent pour la couture et l’aménagement des tissus d’ameublement. Les meubles changeaient souvent de place au fur et à mesure de l’avancement de travaux. On déménageait sans cesse des tables, des commodes, des consoles, des tableaux, des tapisseries, des statues, etc.
Jean a su créer un lieu de vie hors du commun, où chacun trouvait sa place et était bien accueilli. Tout le monde retire de son passage à Epanvilliers un enrichissement personnel, c’est un véritable lieu de resourcement. Il y avait tant de choses à faire que l’on ne s’y ennuyait jamais, chacun travaillait à son rythme et selon ses capacités. Le moment du repas était l’occasion de se retrouver tous ensemble, et tous étaient les habitants du château pour la durée de leur séjour.
Les habitants des alentours profitaient aussi des lieux, bien souvent il leur faisait cadeau du billet d’entrée et prêtait quelquefois les pièces du château sans rien demander. Il accordait des visites gratuites à toutes les écoles des environs.
Grâce à son talent et son travail, Jean obtint de nombreuses récompenses honorifiques :
- 1er prix accueil-qualité en Poitou-Charentes (2002)
- 1er prix du concours « chef-d’œuvre en péril » par la télévision nationale (1986)
- 1er prix Prince Marc de Beauvau-Craon de la Versailles Fondation (1984)
- La médaille d’honneur de l’Institut international des châteaux, remise par le prince de Ligne (1984)
- La médaille de la demeure historique
- Le diplôme des Vielles Maisons Françaises
- Deux prix de la Fondation Langlois (1982 et 1987)
- Il reçoit les palmes académiques
- Le château d’Epanvilliers est devenu le monument historique en entrée payante le plus visité du département de la Vienne
- Il est élevé au titre de Chevalier de l’Ordre National de Mérite sous le mandat de François Mitterrand, Président de la République Française (1986)
- Il est nommé au conseil d’administration de la Demeure Historique par le marquis de Breteuil, son président.
Il a, bien sûr, fait partie de nombreux autres organismes traitant du tourisme et du patrimoine, notamment dans la région …
Jean Lorzil était membre de l’association de la Route historique des abbayes et monuments du Haut-Poitou.
Jean Lorzil était également membre de l’Alliance royale et mettait volontiers et gracieusement son château à disposition.
Il aurait quelquefois préféré avoir moins de médailles et plus de subventions pour restaurer le château mais les autorités publiques ne se sont pas montrées généreuses. Pire encore, Jean n’ayant aucun héritier direct, ni parent proche, proposa de faire don du château pour 1 franc symbolique aux collectivités territoriales. M. Jean-Pierre Raffarin est venu en personne pour visiter le château d’Epanvilliers. On fit répondre à Jean Lorzil que ni le département, ni la région, n’avaient les moyens nécessaires pour en assurer le simple entretien courant, et son offre fut aimablement déclinée.
Quel dommage pour le public et pour le château qui aurait ainsi trouvé une solution pérenne pour sa préservation, garantissant la transmission de ce patrimoine aux générations futures après plus de 30 ans de restaurations déjà effectuées. Qu’adviendra-t-il de tout ce travail, quel sera l’avenir du château ? Nul ne le sait …
Jean avait beaucoup de talent pour la décoration, et la restauration mais il n’avait pas autant le sens des affaires. Voulant donc trouver une solution, Jean vendit le château en viager, ce qu’il regretta par la suite étant de ce fait prisonnier du contrat.
Après tous ces efforts, c’est en consacrant trop d’énergie pour son public et son château que Jean Lorzil précipita la fin de ces jours. Voulant s’investir lors des journées du patrimoine 2009, Jean fit sans doute trop d’efforts et fut victime d’un accident vasculaire cérébral dans la nuit du samedi 19 septembre. Il fut transporté à l’hôpital de Poitiers qu’il connaissait si bien. Son état commençait à s’améliorer quand une deuxième attaque survint et l’emporta définitivement.
Jean-Robert Lorzil est décédé le samedi 3 octobre 2009, à l’âge de 72 ans.
Ses funérailles furent organisées le jeudi suivant. Son corps fut transporté dans la chapelle du château où une veillée de prière fut assurée en présence de M. le curé de Brux, de ses proches et amis. Ensuite, on sortit le cercueil du château au son des trompes de chasse qu’il aimait tant. Le cortège funèbre composé de plus de 20 voitures, suivit le corbillard qui prit la direction de l’église de Brux par les petites routes de la campagne poitevine. La belle église romane de Brux était remplie, des personnes se tenaient debout. Le soleil du matin faisait filtrer ses rayons de lumière au travers des vitraux colorés du chevet de l’église. Le cercueil était escorté par un comité d’honneur et un porte drapeau de l’Ordre National du Mérite.
Une émouvante oraison funèbre a été prononcée par les responsables de
l’association de la Route historique des abbayes et monuments du Haut-Poitou.
A la sortie de la messe funèbre, nous entendîmes retentir les cloches puis le cercueil eût doit aux honneurs de l’Ordre National du Mérite et enfin il reprit place dans le corbillard au son des trompes de chasses. Toute la nombreuse assistance était fort émue. Le cercueil repose désormais dans un caveau du cimetière de Brux, non loin du château, il sera recouvert par une vieille pierre tombale traditionnelle en forme de sarcophage en triangle soutenue par trois colonnes toscanes.
Requiescat in pace !
Jean-Robert Lorzil
Rodolphe Huguet, le 12 octobre 2009
Des erreurs ou des oublis ont pu se glisser dans ce texte qui ce veut, avant tout, un hommage amical à la mémoire de M. J.R. Lorzil. Les personnes qui souhaiteraient corriger ou compléter le texte sont invitées à se manifester.